Entretien avec Éric Hetroy

Head Of Design
Axa
LinkedIn Éric Hetroy

La « Circulaire n°6411-SG relative à la lisibilité des sites internet de l'État et de la qualité des démarches numériques », signée le 7 juillet 2023 par la Première ministre, demande à chaque ministère de désigner un responsable du design. Afin d’incarner ce rôle et ces missions, nous avons échangé avec des responsables du design en poste dans une série d’entretiens, intitulée « Paroles de responsables du design ».

Épisode 2 : Éric Hetroy, Head of Design chez Axa.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre rôle ? Quels sont vos principaux enjeux ?

Je suis en charge des activités design pour Axa France. Pour ce faire, je fais partie de la Digital Factory, dont la vocation est de porter le digital chez Axa France, de la stratégie au delivery [réalisations] avec différents types de métiers, d’expertises. Ce qui est intéressant, c’est que le design y est transversal. Nous, on travaille avec quasiment toutes les expertises et sur des sujets très variés. Ça fait quelques années que le design est intégré chez Axa sur tous les projets ; on cherche maintenant à être plus présents sur des phases de stratégie et de conception, en travaillant sur un périmètre plus large et qui ait du sens. Un de mes objectifs, c’est de réussir à repositionner le design et le rôle de designer. Par exemple, on a un intérêt à faire de la user research [recherche utilisateur] de manière beaucoup plus globale, pour travailler conjointement avec les spécialistes du business, du eBusiness, de la data, de l’analytics [analyse]… passer de l’expertise UX/UI [expérience utilisateur/interface utilisateur] à une expertise product design [conception de produit], voire même service design [conception de service]. Mais déjà, dans un premier temps, avoir un périmètre plus complet, plus large, plus impactant, alimenter les autres expertises, les autres métiers via le product design.

Il y a un gros enjeu d’acculturation ou de réacculturation. Dans une culture française, on est très sur le design graphique, la direction artistique, la matérialisation. Parler plus de conceptualisation, c’est un enjeu qui touche beaucoup à l’humain et à la transformation d’entreprise. Le design est un levier de transformation d’entreprise très important et très efficace.

Cette acculturation concerne tous les niveaux. Les décideurs à des niveaux très hauts voient que les choses avancent mais ils sont un peu trop éloignés. Et à l’opposé, les salariés, quand tu leur parles d’alimenter la stratégie, ils sont un peu éloignés de ça, parce que la structure ne leur permet pas. Donc, on a un enjeu à faire l’ascenseur et à faire passer l’information. C’est un enjeu de communication d’aligner tout le monde sur ce qu’est le design et où on veut aller, ce qu’on veut faire.

Le design, c’est des approches, des façons de construire, des outils ; mais c’est aussi une part de créativité, une part de risque, une part de perception. Dans mon équipe, l’année dernière, on a recruté un directeur artistique. Pour moi, c’est une facette hyper importante, j’aime bien penser le design comme du fonctionnel ET de l’esthétique. Globalement, on peut avoir l’impression que l’esthétique, a été mise un peu de côté ces dernières années, mais je pense qu’il faut le remettre parce que ça favorise beaucoup l’adhésion et l’adoption.

Le design c’est l’art de se poser des questions et de naviguer dans l’incertitude. J’aime bien voir le design comme ça parce que la culture d’ingénieur ou même ce qu’on nous inculque à l’école, globalement, c’est surtout d’avoir des solutions très rapidement ; mais c’est une vraie richesse de pouvoir avoir cet état d’esprit, de se poser des questions, de problématiser…

Parlez-nous de votre parcours, comment êtes-vous arrivé au poste que vous occupez aujourd’hui ?

Je ne suis pas issu d’une formation design, j’ai plutôt étudié l’information, la théorie de la communication, ce genre de choses. C’est un sujet qui m’a passionné, mais très théorique, donc j’ai complété cette formation universitaire par une formation un peu plus pragmatique : conception et réalisation multimédia. Je trouvais ça génial, j’adorais et j’ai enchaîné en travaillant dans des agences, au départ sur des petits postes, par exemple intégrateur HTML ; après, un peu plus de design graphique où j’ai fait des newsletters, des bannières, ce genre de choses. Au bout d’un moment, j’ai voulu passer à autre chose et j’ai commencé à m’intéresser à ce qu’on appelait l’UX à l’époque, mais qui avait des formes encore un peu différentes de ce que c’est maintenant. Et puis après, j’ai eu des opportunités de faire un peu management, ça m’a plu. Après quelques années comme consultant, j’ai rejoint IBM en 2015, où j’ai pu participer à la création d’un studio. Là, je travaillais avec des profils tech et des consultants, essentiellement dans le digital, mais pas uniquement. J’ai continué là-dedans après en allant un peu chez EY, dans le consulting pur, parce que j’avais envie d’être encore plus dans la stratégie. J’ai fait ça pendant quelques années, j’aimais beaucoup switcher de sujet en sujet, mais c’était très éreintant de faire des propositions commerciales, de gérer l’équipe, de délivrer, etc. Ensuite, j’ai fait un petit passage en start-up pendant un an et demi.

Et puis, suite à ça, j’ai eu des entretiens pour rejoindre Axa où ce qui m’a vraiment botté, c’était le projet, le sujet de la transformation, cette accélération sur le digital, etc. Pour résumer, j’ai eu une phase design graphique, j’ai eu une phase UX design, j’ai eu une phase consulting et là, j’ai une phase plutôt management, stratégie. J’aime bien dire que chez Axa, on travaille à designer le design. J’aime bien plaisanter en disant que je suis passé de Photoshop à Sketch, puis XD puis Figma, à maintenant PowerPoint et Outlook : maintenant je fais beaucoup plus de slides mais je ne maquette plus vraiment. En fait, je fais un peu plus du design d’organisation, du design d’équipe, du management d’équipe, de la sensibilisation, peut-être de la stratégie design aussi, ce genre de choses.

Comment travaillez-vous avec les autres membres de l’équipe dirigeante de votre organisation ?

Dans ma direction, la direction digitale, je dépends du CDO, du Chief Digital Officer d’Axa France. Avec les autres membres de cette direction, je travaille de manière transversale, donc ça va toucher à des sujets qui peuvent être de l’éditique, de la gestion de documents, du CRM, l’app, l’espace client, le site etc. Outre les sujets d’assurance bien sûr, ça peut toucher des secteurs qui sont plutôt sur de la finance, des sujets qui sont sur la santé, les collectives, etc. C’est extrêmement riche. Je travaille avec eux quasiment au quotidien de façon à comprendre comment mon équipe peut apporter de la valeur. C’est finalement très amont, de l’accompagnement et de la sensibilisation. Challenger un peu la stratégie qui peut être descendante et dire « Peut-être que ce n’est pas exactement comme ça qu’il faut faire. »

Je travaille aussi avec des équipes qui ne sont pas dans ma direction ; par exemple, avec les équipes tech, on travaille notamment sur des sujets de design system [système de design]. C’est difficile de répondre de manière très précise sur ce que je fais parce que ça dépend énormément des sujets, ça dépend énormément des affinités aussi mais, en gros, j’essaie de faciliter, de fluidifier et d’accélérer le delivery [la réalisation], de conseiller.

Le design n’a pas forcément voix au chapitre au Comex : le Comex, c’est le niveau N+2. Ça peut m’arriver de parler à un board [comité] de N+1 sur les aspects de process, de méthode, d’acculturation. Pour le niveau Comex ça peut arriver ponctuellement sur certains sujets précis mais c’est via le projet en question pas directement par le Design. Je ne pense pas que le design fasse la stratégie, mais je pense que le design peut alimenter énormément la stratégie et qu’il y a une passerelle qui n’existe pas encore à l’heure actuelle. Moi, j’utilise beaucoup le levier des projets et de la communication avec mes pairs ou mes N+1.

Comment mesurez-vous l’impact de votre travail sur les résultats de votre organisation ?

Dans le monde de la banque assurance, tout est mesuré. Tout, vraiment. Dans le design, on est beaucoup autour de la satisfaction. On a des indicateurs qui peuvent être des classiques NPS [Net Promoter Score, qui sert à mesurer la propension et la probabilité de recommandation par les clients], mais aussi des indicateurs de customer satisfaction [satisfaction client], de customer effort. On va capter aussi du verbatim, on fait de la user research [recherche utilisateur], on fait des tests d’utilisabilité. Et tout ça est beaucoup mesuré à des niveaux de la direction client aussi, pour essayer de comprendre comment est-ce qu’on s’améliore, est-ce qu’on se dégrade, etc. Également, on interroge nos clients pour savoir comment ils perçoivent ce qu’on fait pour eux, les outils, etc. On essaie de centraliser et quand on veut mettre en place des indicateurs, que ça ait du sens et que ça réponde bien aux questions qu’on se pose.

L’initiative globale, elle est aussi portée par mon boss, le Chief Digital Officer, qui a une équipe dont je fais partie, qui travaille sur une newsletter d’analytics, de data, de satisfaction, d’usage client global et qui est envoyé à tous les membres du Comex et à tous les directeurs.

Mais on n’est pas les seuls à générer de l’impact, surtout sur les sujets sur lesquels on travaille. Si je prends l’exemple d’une notation sur une app, ce n’est pas juste les designers qui sont responsables de la note : c’est la tech, c’est la vision produit, c’est énormément de choses. C’est intéressant aussi de réussir à porter d’une voix une équipe et les différentes expertises plutôt que de dire c’est juste les designers. C’est ça le paradoxe : c’est qu’il faut réussir à porter le design à des niveaux et avoir une place à la table des décideurs ; mais en même temps, le design tout seul, c’est presque inutile. Enfin, ce n’est pas inutile, mais le design seul a beaucoup moins d’impact que s’il est ensemble avec toutes les expertises.

Mon ambition, c’est de réussir à faire en sorte qu’on soit plus user [utilisateur] centré, mais surtout plus product driven [axés sur les produits], voire design led : leader [orienté] par le design. C’est un levier incontournable. Ça, j’en suis persuadé.

Dernière question : Quelle question auriez-vous aimé que l’on vous pose, et quelle est la réponse ?

« Comment faire pour que ce que les entreprises délivrent [proposent] ait plus d’impact ? » J’entends par là impact sociétal, impact environnemental, impact d’inclusion, etc. La réponse est que le design ait un rôle plus important et qu’il puisse nourrir les expertises. Et puis surtout que le design soit perçu comme une façon d’aborder les choses, plus que comme une ressource technique. Et j’ajouterais aussi que, pour y arriver, il faut aussi repenser un peu notre système scolaire qui est peut-être trop autour des questions/réponses mais apprendre à réfléchir différemment, à réfléchir autour des problématiques, des moments de vie, des usages. Et ne pas être mal à l’aise avec le fait de ne pas savoir : c’est une force de ne pas savoir, c’est ce qui donne envie de creuser. Dans d’autres boîtes, quand on parlait d’user research, les gens pensaient qu’on allait chercher des solutions ou des réponses. Et je disais toujours, pour moi, la user research, ça va vous donner encore plus de questions. Et c’est ça qui est génial.

Encore une fois, on aime bien des fois penser « outil », on dit « digital, c’est cool », mais l’important, c'est de répondre à un vrai besoin humain derrière.

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