Entretien avec Didier Boulet

Group Chief Design Officer
Thales
LinkedIn Didier Boulet

La « Circulaire n°6411-SG relative à la lisibilité des sites internet de l’État et de la qualité des démarches numériques », signée le 7 juillet 2023 par la Première ministre, demande à chaque ministère de désigner un responsable du design. Afin d’incarner ce rôle et ces missions, nous avons échangé avec des responsables du design en poste dans une série d’entretiens, intitulée « Paroles de responsables du design ».

Épisode 6 : Didier Boulet, Group Chief Design Officer chez Thales.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre rôle ? Quels sont vos principaux enjeux ?

Je suis le chief design officer [directeur du design] du groupe Thales. Ma mission principale, c’est de transformer Thales en un champion de design. En d’autres termes, faire en sorte que les produits, les services, les systèmes de Thales soient reconnus pour leur expérience utilisateur, leur usabilité, le meilleur design global. L’enjeu, c’est de mettre en place une organisation design structurée, dans un groupe de haute technologie qui n’est pas forcément toujours réceptif à cette idée et de systématiser ce qu’on appelle en interne l’UX [user experience, expérience utilisateur] design. Donc, systématiser le recours aux équipes et aux méthodologies et aussi quantifier, toujours plus et toujours mieux, l’impact de l’UX et du design sur nos produits. Et puis, cerise sur le gâteau, c’est le développement d’un vrai ADN design, un design qu’on puisse reconnaître, un design Thales. Et donc ça, ça passe par un design system qu’on est également en train de mettre en place.

Parlez-nous de votre parcours, comment êtes-vous arrivé au poste que vous occupez aujourd’hui ?

Je suis rentré dans le groupe en 2000 et j’ai eu un parcours assez diversifié. Les six premières années, c’est du business et de l’opérationnel. Et puis je fais un passage en 2006 dans le monde de l’innovation et de la direction technique du groupe durant à peu près six ans. Et le premier gros jalon, je dirais, par rapport aux chantiers design du groupe, se passe en 2012 où je crée ce qu’on appelait en interne un Design Center qui devrait plutôt s’appeler un Design Thinking Center, un tiers lieu dédié à l’innovation qui utilise le design thinking. C’est assez commun, je pense, aujourd’hui. On voulait en créer un et au final, on en a ouvert 18 dans le monde en dix ans dont quatorze tournent encore. La mise en place de ce design center et puis le passage à l’échelle, ça a vraiment été très important, en tout cas pour ce qui m’a valu d’être aujourd’hui dans le rôle dans lequel je suis. Et puis, deuxième gros jalon très important, en 2018 le groupe a lancé un grand chantier de transformation digitale dans lequel l’expérience utilisateur avait été mise très, très haut dans les priorités. On m’a confié ce chantier et donc ça m’a permis de réconcilier deux réalités du design aujourd’hui : une réalité « le design dans l’innovation » dont on parle beaucoup, des méthodes design thinking and co ; et puis le design sur les affaires, donc dans le digital, mais aussi le design industriel, le design de services, etc. En 2000, on m’a nommé sur le poste de Chef Design Officer, qui est assez symbolique comme titre car il marque finalement l’importance que l’organisation veut donner au design. Donc ça, ça vous résume 22 ans ou 23 ans de ma vie.

Comment travaillez-vous avec les autres membres de l’équipe dirigeante de votre organisation ?

Thales est un grand groupe international, il n’y a pas qu’une organisation, il y en a plusieurs, selon qu’on navigue dans l’axe pays/région, dans l’axe business domain [domaine des affaires] ou dans l’axe, par exemple, des grandes fonctions. Les manières dont on collabore avec ces différentes parties du groupe ne sont pas forcément les mêmes. Vis-à-vis du Comex [Comité exécutif] du groupe, j’ai une plateforme 1 à 2 fois par an pour vraiment venir les briefer, leur expliquer où on en est sur les chantiers et comment on souhaite les mobiliser pour faire avancer. Et souvent, suite à ce passage, il y a une cascade qui se fait sur les Comex des grandes Global Business Units du groupe. Donc ça veut dire qu’il faut refaire un tour avec chacun des comex des Global Business Units. Donc ça c’est un peu sur la partie business. Après avec les fonctions, il y a des fonctions avec lesquelles on a naturellement des synergies très fortes : branding [image de marque] et communication. Là on a des rythmes trimestriels de travail et de synchro avec le marketing et la politique produit. On est à peu près sur les mêmes rythmes avec les équipes innovation, avec les équipes ingénierie, services, industrie. On a des rythmes qui sont installés et souvent c’est de la synchro pour se tenir au courant des différents chantiers menés de part et d’autre ou de chantiers qu’on a en commun. Le design, c’est un métier qui est assez fédérateur et transverse, donc on a beaucoup, beaucoup d’interactions et de concertations nécessaires avec les autres fonctions de l’entreprise.

Qui sont les membres du Comex ?

Vue la taille du groupe, il y a des structures de gouvernance et de leadership à plusieurs étages. Pour le comité exécutif restreint, c’est le CEO [Chief Executive Officer, président directeur général], le patron des opérations, le CFO [Chief Financial Officer, directeur général des finances], la Stratégie et puis les grands patrons de Global Business Unit. Et il y a un Comex dit « étendu » à 35, 40 personnes. Et enfin nous avons des Comex propres à chacune des Global Business unit, qui sont chacune active dans des domaines métiers particuliers.

Comment mesurez-vous l’impact de votre travail sur les résultats de votre organisation ?

On va mettre « organisations » au pluriel. Aujourd’hui, on n’est pas encore à un niveau de maturité qui me permette de consolider l’ensemble des contributions design et dire « l’impact sur le résultat du groupe, c’est ce chiffre ». On espère y arriver un jour : c’est le Graal de toutes les organisations de design au monde, je pense, mesurer le ROI [Return On Investment, retour sur investissement] et l’impact du design en ces termes. Par contre, on a démarré un travail de fourmis pour formaliser la maturité des pratiques, quantifier la qualité de l’expérience utilisateur, l’impact économique, opérationnel, expérientiel sur chacun des nouveaux produits. Je dis un travail de fourmis : on est en train de le faire sur plusieurs centaines de produits et de projets. La consolidation de ces mesures, de cette quantification, de manière émergente, va donner des marqueurs. On va commencer à pouvoir montrer que, aux endroits où les pratiques et le recours aux méthodes UX design est le plus intensif, on a aussi la satisfaction client et utilisateur la meilleure ; et évidemment, ce serait bien de pouvoir corréler avec des indicateurs d’efficacité pour les opérateurs, les utilisateurs finaux ou des impacts économiques sur un marché grâce à un produit qui est meilleur que la concurrence, etc.

Dernière question : quelle question auriez-vous aimé que l’on vous pose, et quelle est la réponse ?

Peut-être une question sur les prochains challenges ou là où on voit la prochaine frontière. Et ma réponse à ma question serait liée, je pense, à la mise en place du design system. En fait, on voit beaucoup de design systèmes qui sont uniquement concentrés sur le digital et on s’est mis une ambition pour avoir un design système qui soit beaucoup plus couvrant et qui couvre le digital, mais également la partie produit, le design industriel, les services. Thales ne fait pas que du digital et souvent nos systèmes, c’est un mélange de tout ce que je viens de dire. Si on veut un design Thales, on ne peut pas juste prendre une tranche. Il y a très peu d’entreprises qui ont aujourd’hui des design system de cette classe-là. Donc c’est très ambitieux, ça va prendre plusieurs années, mais c’est aussi très très excitant pour les équipes de designers. Et puis aussi peut-être un meilleur positionnement du design en face des grands enjeux stratégiques type ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance]. Et donc de renforcer le positionnement dans l’entreprise du design par rapport à ces enjeux. Je pense que ça c’est les deux grands challenges devant nous.

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